Un autre souvenir, un peu plus personnel.
Là non plus, je n'ai plus l'année exacte en tête avec certitude, mais je pense que c'était il y a un peu plus de 20 ans (probablement en 1999).
Florence avait encore sa boutique du 20e, j'y passais parfois et y faisais des sessions*. Elle avait aussi sa revue papier qui a existé quelques années. J'y avais écrit deux ou trois choses sous pseudo (mes seules collaborations avec Athena2, autres que comme client).
Il y avait une culturiste belge, que Florence connaissait assez bien et qui écrivait des textes pour la revue.
Ses initiales sont N.G. et elle est devenue écrivaine. Une auteure à la fois assez confidentielle et avec une certaine reconnaissance dans le monde de l'édition, pour son exigence intellectuelle, et la qualité de son écriture.
Je crois que N.G. avait fait paraître une annonce dans Athena2 (à moins que je l'aie su autrement, en passant à la boutique) disant qu'elle cherchait un conjoint et n'avait pas une vie sociale qui lui permettait de rencontrer des hommes intéressants. Toujours est-il que j'étais entré en contact avec elle, on avait dû s'écrire, d'abord, et parler au téléphone au moins une fois, ensuite. Je me souviens que les échanges à distance avaient été assez froids et secs : elle voulait me faire parler, vérifier que j'étais digne de la rencontrer, un entretien d'embauche, en quelque sorte, l'attitude de quelqu'un qui ne veut pas perdre son temps avec des hommes sans intérêt.
J'avais donc été ravi de passer ce test avec succès, d'avoir réussi à franchir ce que je comprenais comme un premier barrage, un premier tour, une "admissibilité".
J'étais admissible pour rencontrer une culturiste, intellectuelle, célibataire et qui cherchait un homme pour une relation de couple !
Il y avait de quoi se réjouir.
J'étais célibataire, moi aussi, à ce moment, l'histoire me tentait.
Les photos d'elle que j'avais pu voir me faisaient des impressions contrastées : sur certaines, sur une surtout, elle ne me plaisait pas beaucoup (très masculine), sur d'autres, je la trouvais très attirante ; ce qui est sûr, c'est que son profil intellectuel me plaisait vraiment.
J'ai donc acheté un aller-retour pour Bruxelles, où elle vivait. Elle m'avait proposé de dormir chez elle, sans que ça engage à rien (dans une chambre d'amis) afin qu'on ait un peu de temps pour parler : faire l'aller-retour dans la journée aurait été un peu rapide.
Cette escapade était excitante.
J'adore ce frisson de l'inconnu avant une rencontre. Frisson qu'on connaît tous avant une session. Frisson du secret. Frisson de l'attente. Frisson du fantasme à venir. Frisson de l'ouverture de la porte. Frisson démultiplié dans ce cas par le fait que ce n'était pas tarifé, que la rencontre incluait le corps et l'esprit - j'avais envie de parler de littérature, de viragophilie**, de philosophie, d'art avec elle - excitation démultipliée par le fait, que qui sait, ma vie pouvait basculer à un moment où j'étais dans le flou total, peut-être à un virage, en quête de quelque chose, d'un changement.
J'avais, bien sûr, son adresse et elle m'avait expliqué l'itinéraire. C'était facilement accessible depuis la gare.
Lorsque j'arrive chez elle, je vois avec plaisir un beau quartier en plein centre de la capitale belge. Une belle maison de ville. Je sonne.
Elle m'ouvre. Le bonjour est un peu maladroit des deux côtés : mais ce malaise initial était compréhensible. Elle-même devait se sentir peu confortable avec la démarche, le caractère artificiel de la rencontre (devenu beaucoup plus banal, depuis, avec les sites de rencontres). Cette nervosité initiale ne devait pas être un frein.
Il ne fallait surtout pas que ce soit un frein, parce que la bonne, la très bonne nouvelle, même si elle n'avait pas pris soin de beaucoup se mettre en valeur, ni se pomponner, était qu'elle était exactement identique aux photos qui me plaisaient le plus. Des cheveux mi-longs. Un visage agréable et doux. Des bras et des épaules impressionnants que ses manches courtes laissaient bien voir. Une belle peau. Bref, je me suis dit, pendant quelques secondes que j'avais vraiment bien fait de venir.
J'avais l'impression que jamais, peut-être, le fantasme et la vie sentimentale n'avaient eu autant de chances, dans ma vie, de se rencontrer, de fusionner, de ne faire plus qu'un.
Ces quelques secondes d'enchantement, sur le pas d'une porte, auront été les seules positives de toute cette histoire.
Il est difficile de décrire ce que j'ai vécu, ensuite, dans cette maison autrement que par le mot désastre.
Très vite, cette maison a eu sur moi un effet oppressant. C'était sans doute une maison de famille dont elle avait hérité. Elle était encombrée, pleine de meubles de style, de vieux fauteuils dans lesquels personne ne s'asseyait jamais. Elle sentait très fort le renfermé comme si les fenêtres n'avaient pas été ouvertes depuis des années. Les volets étaient fermés et la lumière du jour était absente.
Elle m'a offert une boisson chaude, et on s'est assis pour discuter.
J'avais envie de lui parler de moi, plus en détail, et puis de lui poser une multitude de questions sur son travail, ses textes, les philosophes qui l'inspiraient. Elle ne m'en a pas laissé le temps. Elle a parlé, très vite, des conditions non négociables de la vie de couple qu'elle envisageait.
Quelles que soient les conditions en question, il faut bien dire que ça aurait semblé prématuré, d'énoncer ainsi les "conditions du contrat de mariage", la logique me paraissant de faire d'abord connaissance, mais je n'avais pas vraiment voix au chapitre.
Elle m'expliqua alors qu'ayant fait le choix d'une vie hyper exigente, quasi-monastique où elle voulait faire progresser sans fin son corps, en levant des poids, et son esprit, par la lecture, l'étude et l'écriture, il lui restait peu de temps pour autre chose.
Elle voulait une relation affective a minima mais stable qui lui offre un peu d'équilibre. Tout en refusant le modèle bourgeois du couple. Elle avait surtout besoin que la relation affective lui soit utile : la vie matérielle l'intéressant peu, il lui fallait un mari qui fasse les courses, le ménage, la cuisine. Elle a parlé très frontalement de sexe, mais comme elle est identifiable, je n'entrerai pas dans les détails.
Rien de ce que je faisais et lui avais dit ne l'intéressait. Mes questions sur son travail ne l'intéressaient pas, elle ne voulait pas que je lise pour l'instant ses écrits, mon propre travail - qui avait pourtant, à l'époque, connu quelques réalisations qui n'étaient pas ridicules du tout - ne l'intéressait pas.
Peut-être était-ce une posture ?
Peut-être était-ce un test ?
Toujours est-il que, dans cette ambiance pesante, confronté à cette seule question (étais-je prêt à m'engager dans une vie d'homme au foyer pour la servir ?), je me suis demandé ce que je faisais là, je me suis dit qu'il allait falloir faire bonne figure, que la soirée allait être longue, que j'espérais trouver le sommeil.
Était-il possible qu'une fille si intelligente me propose vraiment, strictement, une relation de couple à l'ancienne, où les rôles du dominé et du dominant seraient simplement inversés ?
Je sais qu'il était encore tôt, le milieu de l'après-midi, quand elle m'a fait cette description. Je me souviens dans les moindres détails de mon arrivée, de cette prise de contact, et de la description qu'elle a faite. En revanche, à part le sentiment d'absurdité qui s'est abattu sur moi, ma mémoire a occulté les heures qui ont suivi. Je sais qu'elle m'a fait visiter la maison dans le détail (c'est ce qu'on fait, j'imagine, quand on engage du personnel de maison). Mais ensuite ? Est-ce qu'elle m'a laissé seul pour réfléchir à sa proposition pendant qu'elle retournait à sa table de travail ?
Est-ce que nous avons, quand même, un peu parlé ?
Ce qui est sûr, c'est que toute possibilité de rapport de séduction était anéantie, pour moi, par la situation, par le cadre, par son attitude.
Il fallait seulement attendre.
Attendre mon train du lendemain.
Les êtres humains civilisés ont une grande capacité de politesse.
Nous avons dîné, j'ai dormi dans la chambre d'amis, nous nous sommes salués le lendemain matin.
En partant, je lui ai dit que j'avais besoin de temps pour réfléchir à sa propositon.
Elle m'a dit que je pouvais prendre mon temps, car elle avait tout de même conscience qu'une acceptation impliquait d'importants changements pour moi. C'est sans doute la seule phrase empathique, ou au moins, tenant compte de mon existence, qu'elle a prononcée.
Malgré le trou noir de ma mémoire sur toute la fin d'après-midi et une bonne partie de la soirée, je suis sûr d'une chose.
Je ne l'ai pas touchée, pas effleurée, pas embrassée, à peine approchée.
Pendant tout le trajet du retour, je me suis demandé ce que "diable, j'étais allé faire dans cette galère".
Je m'en suis même voulu d'avoir perdu mo temps.
Avec le recul, je suis bien sûr content de l'avoir fait.
Je ne sais pas dans quelle mesure elle testait. Dans quelle mesure elle était mal à l'aise, et tellement plongée dans ses passions qu'elle manquait de savoir-faire dans les relations humaines.
Dans quelle mesure, elle cherchait vraiment un soumis : quelqu'un qu'elle souhaitait dominer absolument, dans tous les domaines, en étant plus forte physiquement, mais aussi socialement (on domine son domestique) et intellectuellement. Sur ce dernier point, choisir un intellectuel pour ne pas s'intéresser à lui et mépriser son avis pouvait être une satisfaction ultime, j'imagine.
Je ne suis pas du tout soumis.
S'il y a parmi vous de vrais soumis, vous êtes déjà demandé si au-delà d'une séance d'une heure de soumission, une vie réelle construite sur ce modèle pouvait vous satisfaire ?
* La boutique d'Athena2 était un lieu très étrange. Plutôt glauque, par certains côtés. Mais aussi un lieu intéressant. On pouvait y faire de vraies rencontres. J'y ai rencontré Pierre Samuel, qui était déjà un assez vieux monsieur, devenu ami de Florence, et qui était beaucoup plus bavard qu'elle. J'ai toujours l'exemplaire dédicacé qu'il m'avait offert de son fameux livre (à l'époque introuvable).
** Je ne suis pas expert de cette notion. Pour ceux que ça intéresse :
https://www.franceculture.fr/emissions/mauvais-genres/l-amour-des-femmes-puissantes-ou-eloge-de-la-viragophilie-rencontre-avechttp://sexes.blogs.liberation.fr/2016/03/13/une-femme-qui-attaque-mains-nues-jouissif/